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Immobile et agité
22 avril 2014

Il faut dire que mourir jeune est une évidence,

Il faut dire que mourir jeune est une évidence, j'ai grandi dans ça. Je crois que c'est la pensée qui relie tous les jeunes orphelins et demi-orphelins. Pas forcément par dégoût de la vie, non, rien de si emphatique la plupart du temps, il s'agit plutôt d'un perpétuel dégoût de l'emphase : mourir jeune c'est juste la pure et simple normalité. Le corps se construit difficilement avec ça. Pour ne rien arranger, mon chanteur préféré écrivait des choses comme ça :

Je vais pas faire un mélodrame / Mais ce sont des rides, messieurs-dames / Alors il s'détériore / Le rose caoutchouc fort qui colle notre corps / C'est ton âge, faut pas qu'tu pleures / Mon pauvre Toto, trente ans, rien qu'du malheur / Trente ans, l'âge mûr où l'on s'aperçoit qu'on peut pas compter sur l'élasticité du tissu, c'est sûr

Bébé rose est tout content / T'as grimpé sur le toboggan / Maintenant qu'tu ris moins fort / Tu vas dégouliner sans faire d'effort 

Avec ça comme premier refuge poétique, on a du mal à se projeter loin.

 

Depuis toujours, besoin d'entendre que c'est mon corps qui ne va pas. Que c'est lui qui est à la traîne. Un jour, vers neuf ou dix ans, j'ai des courbatures tellement fortes dans les mollets que poser le pied m'est extrêmement douloureux. Je me déplace dans la maison sur la chaise de bureau à roulettes. J'avais dû faire un gros effort les jours précédents, peut-être un effort qu'un enfant moins inhibé corporellement aurait moins ressenti, ou peut-être un vrai grand effort qui devait bel et bien occasionner ce genre de douleurs, bref qu'importe, je ne le saurai jamais car la doctoresse à domicile n'a rien voulu savoir et ne m'a parlé que de ma mère morte. Tout était forcément relié à ça. Les mollets c'est forcément la tête, pardi ! Après cela, je ne pouvais que persévérer dans le dualisme, tellement l'inverse me paraissait insultant. En me rappelant sans cesse que mon psychisme n'était pas totalement normal, on niait l'anormalité de mon corps que je ressentais pourtant bien plus fortement. Le problème n'était pas tant qu'il ne fallait pas la nier, car le fait est que mon corps avait presque toutes les possibilités pour devenir normal, mais tout mettre sur le dos de ma tête ne passait pas. Je ne pouvais pas y croire et n'y crois encore pas aujourd'hui.

 

Encore aujourd'hui, j'ai l'impression que je dois passer par une preuve de la relative normalité de mon corps, ou en tout cas de la dimension rattrapable de son anormalité, pour que je puisse croire en le progrès de ma tête. C'est dans ce sens-là que ça doit se faire.

 

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