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Immobile et agité
25 mars 2014

Essai de texte avec interdiction absolue

Essai de texte avec interdiction absolue d'utiliser les mots "vie" et "monde"

 

Si pour l'instant j'ai raté mon existence (j'aurais dû interdire "existence" aussi, mais passons), c'est parce qu'il y a cul par-dessus tête à la base. Les enfants normaux explorent d'abord leurs sens et les sources possibles d'émerveillement spontané que leur offre leur environnement, puis dans un second temps développent la conscience qu'ils ont d'eux-mêmes et de cet environnement (qui s'agrandit petit à petit). La mort de ma mère a fait que la conscience a été forcée d'arriver tout de suite à la rescousse au point de masquer le reste et même de l'annuler. J'ai dû, prématurément, auto-justifier mentalement ma raison de vivre.

 

Je l'ai fait par la musique (des mélodies mélancoliques dans la tête à tout moment), les univers parallèles (Michel Drucker jusqu'à 10 ans, l'esprit tordu de l'absurde à partir de 15 ans), mais sans que tout cela ne débouche sur du concret, du matériel, du corporel : tout cela est resté dans ma tête. La spontanéité perdue, l'enfance impossible devaient se décharger violemment, en n'accordant aucune concession à de quelquonques "exigences". C'est pour ça que mes dessins ne pouvaient qu'exister en n'existant pas vraiment (refus de m'y mettre sérieusement, d'envisager de vraies "publications") : ils n'étaient destinés qu'à mon cerveau (et parfois à des amis, mais ceux-ci se sont vite faits rares).

 

Forcément, pour compenser cette désincarnation, je devais aussi nourrir des obsessions qui, elles, seraient purement matérielles et finiraient par me tuer : c'est la BD indé qui a hérité de ce rôle de bourreau. J'en ai collectionné jusqu'à plus soif et parfois sans en avoir vraiment envie, ça ne voulait pas s'arrêter et ça ne pouvait pas car ça formait une sorte de couple pervers avec mes propres refuges créatifs (qui auraient pu se suffire à eux-mêmes) : les deux névroses se nourrissaient l'une l'autre. J'aurais pu faire taire celle qui ruinait vraiment ma vie (l'achat compulsif de BD luxueuses), ça m'aurait au moins permis de favoriser le versant plus constructif de mon inadaptation, mais non, j'ai choisi de freiner mon souffle à moi dès la sortie du lycée par manque de confiance, afin de me consacrer au néant qui amassait du papier sur des étagères. Je continuais un peu à tracer des traits et des mots mais c'était pour la forme, pour continuer à me prouver que j'étais vivant, pour avoir des choses à envoyer aux éditeurs que je collectionnais afin que j'aie une petite chance de leur plaire un jour et qu'ils m'offrent tout ce qui me manquait dans leurs catalogues.

 

Comme au bout d'un moment quand même on en a marre, je devais forcément finir par tout rejeter et m'extirper de ces comportements-prisons. Sur le coup ça fait du bien, mais maintenant que c'est fait, c'est la cruauté du constat qui domine : il n'y a pas de retour possible ; je n'ai rien vécu ; comment expliquer aux gens que je suis comme un enfant de sept ans et qu'il me reste tout à observer, comprendre, apprécier, essayer ? que j'ai passé la majeure partie de mon temps dans une chambre, la tête penchée sur mes seules pensées ? que je ne suis ni un intellectuel (qui se penche sur les pensées des autres) ni un artiste (qui les fait fructifier) mais quelque chose d'autre que je n'arrive pas à nommer (ce dont je ne tire aucune fierté) ? que je dois apprendre le b-a ba si je veux mener des actes sociaux aussi bien que physiques ou littéraires ?

 

Mes buts : m'ouvrir à ce que peuvent voir mes yeux, sentir ma peau, confectionner mes mains et concevoir mon esprit ; enlever la buée bourdonnante de mon crâne qui se déposait sur tout et criait à en faire perdre tout sens.

 

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Commentaires
E
Ok pour la prescription ! Mais pour le fond : j'espère que tu t'es ouvert, que c'était chouette et que ça continue de l'être...il n'y a pas de prescription pour ça !
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L
Eh ben merci ! Ça aura mis le temps, dis donc ! Ça ne m'étonne pas d'avoir laissé passer ça, mais comme personne ne l'avait trouvé je faisais confiance à mes lecteurs attentifs (attentifs mais peu nombreux, c'est peut-être ça le problème). Vu qu'il y a prescription, je ne vais rien changer, on va dire que c'est révélateur.<br /> <br /> Bises aussi
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E
J'ai cliqué sur une archive au hasard, j'ai lu et...argh, désolée, je ne fais pas de commentaire sur le fond mais seulement sur la forme.. (en même temps, le titre du texte nous y invite !)<br /> <br /> "J'aurais pu faire taire celle qui ruinait vraiment ma VIE". Tu en as laissé traîner une !<br /> <br /> Tu peux aussi décider de transformer ce titre et remplacer absolue par relative ;)<br /> <br /> Bises
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